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Page:Rétif de La Bretonne - L’Anti-Justine ou les délices de l’amour, 1864.djvu/217

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se mit à table dès que Cordaboyau, envoyé chez Rose-Mauve, eut annoncé qu’elle ne viendrait pas. Il remit en même temps un billet de la malade pour ma fille. Ingénue le parcourut, bas d’abord, puis nous le passa. Trait-d’Amour le lut par mes ordres ; le voici :

« Divine amie,

» Reçois les actions de grâces que je rends à ton conin et à tes souliers. Hier jeudi (la lettre était de vendredi), j’avais mis la chaussure que tu m’avais prêtée, pour faire bander un clerc de notaire, amant de ma sœur Rosalie, à laquelle je le voulais enlever. J’avais aussi ton grand bonnet battant-l’œil, qui me va si bien, à cause de mes grands yeux noirs, ta robe, la jupe blanche sur le fond de rose ; comme toi, je m’avisai de me donner ton joli tour de cul. Dans la rue des Cinq-Diamants, j’entendis derrière moi : « C’est elle, oui, c’est elle, c’est ma déesse !… » On m’aborde : « Ah ! ma belle, vous voilà si près de chez moi que vous y monterez, puisque votre père y est venu. » Il m’a prise par le bras ; je me suis laissée mener, pensant bien qu’en me reconnaissant il me laisserait aller, surtout après m’avoir foutue. Point, il ne se désabusa pas ; il est vrai qu’il m’avait introduit dans un appartement, au premier, à très sombre jour. Il tombe à mes genoux, ou plutôt aux vôtres, et dit : « Très belle, vos yeux sont un peu différents de ce qu’ils m’avaient paru, mais vous n’en êtes pas moins une brune adorable ; c’est que j’ai toujours plus regardé vos pieds, dont je suis fou, que votre visage, tout charmant qu’il est. Je le reconnais parfaitement, ainsi que tout le reste de votre parure. M’aimerez-