Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/135

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j’ai-reſſentie d’être-obligé d’user de deguisement avec elle, ét de lui cacher ma Sœur ; ſurtout dans certains momens, où elle me-montrait tant de tendreſſe, de confiance, d’attachement, qu’il n’y-eut jamais rién de tel… Oh ! je l’aime à-present pour la vie, mon Pierre… Elle m’a-cru ſeul, ét m’a-la-première-proposé de faire un tour dans le jardin. Nous-nous-ſommes-aſſis auprès d’un treillage, où l’on a-laiſſé les plus-belles grapes de muſcat. Manon, durant notre entretién, les regardait d’un œil-d’envie. Elle a-quitté ma main ; elle ne me-repondait qu’à-batons-rompus. — Qu’avez-vous ? (ai-je-dit en-ſouriant.) Ne voyez-vous pas que je les desire ? — Et que desirez-vous ? — Ne pas me-deviner -! Elle a-lancé ſur les grapes un coup-d’œil vif, ét baiſſant auſſitôt les ïeus, je les ai-vus-mouillés de larmes. Je me-ſuis-levé ſurlechamp, ét j’ai-cueilli les plus-beaus raisins, que j’ai-mis dans ſon tablier. Elle ne pouvait cacher ſon air-d’avidité à chaque grape que je lui donnais : — Encore, me-disait-elle ; j’en-veus encore -? Elle en-a-devoré deux plutôt qu’elle ne les a-mangées ; mais elle a-voulu que je reçuſſe de ſa main chaque grain de la troisième, Pour les autres, elle ne ſ’en-eſt-plus-ſouciée, ét m’a-prié de les ôter de devant ſes ïeus. Je voyais-bién unpeu de ſingularité, mais je trouvais un plaisir infini à me-prêter à tout-cela. Nous avons-enſuite-causé, comme tu vas voir.