Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/203

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rêve, moi, je le crus vrai, ét je m’attendais tous les jours qu’un Duc viéndrait chercher notre Edmond, pour l’enmener dans un carroſſe : Et je lui fesais-bién-ma-cours ; ce qui ne m’était pas difficile, attendu qu’avant ſon rêve, je l’aimais deja le-mieus de tous mes Frères ét Sœurs, ét par une bonne raison ; c’eſt que chés mon Père, ét de-tout-temps dans notre Famille, on apparie les Frères ét Sœurs, en-mettant chaque Sœur ſous la defenſe particulière d’un Frère, au chois de tous-deux : Ét il y-a moins de Frères, il a deux Sœurs : Edmond eſt mon defendeur, à moi : vous comprenez, Madame ?… Mais je reviéns à ſon rêve. Cela me-trotait ſi-bién dans la tête qu’Edmond était fils d’un Duc, que je fis auſſi à mon tour le même rêve : il me-ſembla qu’une Marquise venait me-prendre, ét qu’elle donnait à mon Père ét à ma Mère tout-plein, tout-plein d’argent, en-leur disant : — Tenez, voila pour avoir-élevé ma Fille, ét l’avoir-rendue ſi-gentille-. Et j’étais bién-contente de m’enaler avec elle ; ét elle me-disait : — Tu ſeras un-jour marquise comme moi, ét non une Paysane ! viéns, viéns à mon château, où tu auras de beaus habits, de beau linge-… Je m’éveillai de joie : ét je courus, dès que je fus-levée, conter mon rêve à mon Frère-Edmond, qui me dit : — Dame ! ſais-tu que ça pourrait être ? Tiéns, regarde, comme nous ſommes plus-jolis qu’eux-tous, toi ét moi -?… Nous avions alors, lui treize-ans, ét moi dix. Quant à-l’égard de mes