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RÉTIF DE LA BRETONNE

par un emploi considérable qu’y avait son frère, dont elle tenait la maison. Félicité Mesnage, parente du célèbre auteur de ce nom, avait toutes les grâces, avec une taille parfaite et une figure caméléonne, susceptible d’être jolie, avec un peu de soin. Marianne-Charlotte trouva cette fille à son goût et en fut chérie. Elles se lièrent et devinrent inséparables, c’était certainement le plus joli couple qu’on put voir. Mais Félicité, brune ardente, avait les passions vives, et une grande sensibilité physique. Elle avait un amant ; c’était un beau jeune homme, mais froid comme un Narcisse. On sent que les confidences à Marianne— Charlotte durent commencer aussitôt que la liaison fut formée. La jeune d’Armand fut étonnée de l’ardeur que lui marquait Félicité. Elle en témoignait souvent sa surprise ! « Ah ! c’est que la glace de ton cœur n’est pas rompue, lui répondait M"® Mesnage. Je ne vois que lui, je n’adore que lui ! mon frère à présent semble ne m’être cher, que parce qu’il est son ami, et qu’il se propose de le faire avancer. Je n’existe que par Formigny. — Mais il paraît avec toi d’une indifférence ! — C’est son caractère ; et si vous étiez ensemble dans une île déserte, vous passeriez toute votre vie sans amour. — Je lei crois ! un être aussi glacé, loin de m’échauffer, augmenterait ma froideur naturelle. » Tels étaient les entretiens et les sentiments des deux amies.

Cependant, un jour, Marianne-Charlotte fut témoin d’une scène très chaude. Elle était entrée chez son amie, qu’elle voulait surprendre par le joli cadeau d’une étoffe nouvelle venue de Lyon par Paris. Les deux amies devaient en avoir une robe pareille, le même jour, et briller ensemble comme si elles eussent été les deux sœurs. W^" d’Armand était parvenue jusqu’au ! cabinet de son amie par la garde-robe, et elle avait déjà déposé l’étoffe sur un fauteuil, avec un mot qui annon-