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AU CREUX DES SILLONS

de ces hommes faisaient briller leurs yeux d’un éclat extraordinaire. Or, cette année le travail commença comme d’habitude. Le premier procédé consistait à briser l’enveloppe au moyen d’une machine activée par la main. Une bonne briseuse doit briser une certaine quantité, autrement elle déchoit. C’était donc une animation fébrile, un entrain joyeux dans la sapinière. Les hommes assistaient les femmes en donnant ce dont elles avaient besoin. Paul donnait les poignées de lin à Jeanne, qui le brisait d’un bras ferme ; ensuite on le battait pour en détacher les aiguillets et en débarrasser les fibres textiles, qui sortaient blondes et lisses.

Les deux pères étaient venus, mais s’étaient salués froidement, se sentant à la gêne. Il n’avait pas été question de leur clôture mitoyenne depuis leur dernier entretien, mais les mauvaises langues du pays avaient aigri les deux hommes. Des voisins, vaguement au courant de l’affaire, étaient allés chez Corriveau et lui avaient dit que Lamarre se vantait d’avoir trois pieds de sa bonne terre. D’autres, également venus dans le même désir de semer la brouille entre ces deux familles amies et prospères, étaient allés rapporter à Lamarre que Corriveau prétendait qu’il tenait une bande de terre frauduleusement. Ni l’un ni l’autre n’avaient tenu les propos qu’on leur prêtait. C’est pourquoi ces deux hommes étaient fort irrités. Lamarre fut le premier qui provoqua la scène quand il dit :

« Demain je dois mettre les navets dans la cave de dehors avant que les gelées arrivent ».

Corriveau avait répondu :

« Je voudrais que vous déplaciez votre clôture avant d’occuper votre cave ».

— Je croyais que nous ne devions plus parler de cette question, continua Lamarre.

— Oui, vous vous vantez que vous avez eu raison de moi, mais on verra bien qui aura raison », et Corriveau s’en alla de plus en plus mécontent.