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AU CREUX DES SILLONS

LE LITIGE



Les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés depuis la dernière scène. Leurs ressentiments semblaient être un peu calmés, mais les mauvaises langues continuaient. Elles s’étaient emparées des altercations, en multipliaient les rapports contradictoires, aggravaient la situation, attribuaient à Corriveau et à Lamarre toutes sortes de propos souvent mensongers, toujours considérablement exagérés. C’était bien l’hydre aux cent têtes, présente partout, semant la haine, engendrant la chicane, créant les malentendus.

La rancune, un moment apaisée, renaissait dans le cœur de ces deux hommes et menaçait d’étouffer leurs meilleurs instincts. Bientôt ce fut intolérable. L’un et l’autre se promettaient d’en appeler à la loi pour faire taire l’autre. Il n’y avait pas d’avocat dans le village. Il fallait aller au chef-lieu du comté, situé à une trentaine de milles.

Les mauvais chemins de l’automne ne permettaient pas d’entreprendre le voyage et c’était aussi le temps du battage. C’était toute une entreprise que battre une grange. On commençait par étendre les gerbes dans l’aire et à coups répétés de fléaux dans le sens des épis, on en faisait sortir tous les grains. Ensuite on le mettait dans le van qu’on agitait pour en séparer la paille et la baie.

Tous les animaux étaient maintenant dans l’étable. On les entendait secouer leurs chaines comme des captifs qui regrettent leurs jours de liberté, où ils marchaient dans l’herbe odorante.