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LE MENDIANT

soleil de juillet, les pluies de l’automne étaient ses amis. Ses vieux vêtements rapiécés, rayonnaient dans la lumière du jour.

Les mendiants sont pleins de civilité entre eux. Il y a peu de classes d’hommes aussi indemnes de jalousie. Ils s’aident, se conseillent, s’aiment. Ils pratiquent ce qu’ils implorent, la charité. Ils croient à leur vocation, car c’est une vocation que Dieu a instituée quand Il a dit : « Il y aura toujours des pauvres parmi vous ». C’est pourquoi ils se saluent quand ils se rencontrent, s’assoient ensemble sur les talus du chemin, causent en se reposant et en comptant leurs sous.

C’est dans ces circonstances que le père Nicholas avait rencontré jadis une petite vieille mendiante, dont le bras droit était desséché par les fièvres infantiles. Quand il l’avait rencontrée, elle était très fatiguée de porter son panier de la même main. Il le lui avait porté pendant toute une journée, et ils mendiaient chacun de son côté. Et la journée n’avait pas été longue. C’est qu’elle causait bien la mère Béatrice. Elle savait comme nulle autre conter les histoires des gens qui se cachent pour ne pas donner. Elle ne tarissait pas de verve et d’entrain. Après l’avoir quittée, le père Nicholas avait trouvé la route bien monotone. Le souvenir de cette petite vieille joyeuse avec sa robe d’indienne, son mouchoir en pointes sur les épaules, l’avait hanté pendant plusieurs jours. L’année suivante, comme il traversait la paroisse de St-Jean Port-Joli il la rencontra de nouveau. Tous les deux furent très heureux de se revoir.

Ils firent route ensemble jusqu’à Lévis. Lorsqu’ils se séparèrent, l’un pour aller dans la Beauce, l’autre vers le nord, ils s’étaient causé longuement.

— Vous marieriez-vous si vous trouviez un bon vieux ?

— Dame, oui, mais faudrait qu’il fût de ma condition, avait-elle répondu avec coquetterie, je ne marierai jamais un journalier.

On n’en avait pas dit davantage mais on s’était donné rendez-vous pour l’été prochain à Trois-Pistoles. Chacun avait compris qu’ils s’aimaient et qu’ils se marieraient.