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FRIMAS ET VERGLAS

Noëls, poèmes naïfs et si vieux, dont l’origine se perd dans le passé.

Après la messe, la joie était dans tous les cœurs. Le Christ est né. Il nous apporte un message de bonheur, semblaient dire toutes les lèvres. Et pendant que les chevaux trottaient sur les routes durcies et que les grelots carillonnaient gaiement, on pensait au réveillon bien chaud qui attendait.

Marie avait mis le couvert avant la messe. En arrivant elle servit un ragoût d’un fumet surprenant, des pâtés de viande dont la croûte fondait, des croquignoles tressées, entortillées, d’un goût d’amande, des tartes aux petites fraises des champs sucrées comme du miel.

Après le réveillon François avait dit à son père pendant qu’elle desservait :

« Si vous le permettez, je viendrai dimanche soir avec mon père vous demander la main de Marie ».

Le moment décisif était donc venu. On voulait lui enlever la femme qu’il aimait plus que lui-même. Il ne laisserait pas commettre cette injustice. Il parlerait et laisserait Marie choisir entre François et lui.

Les jours qui suivirent furent pour la jeune fille des jours d’un bonheur et d’un espoir rayonnants. Son amour chantait autour d’elle et tous ses gestes, toutes ses paroles allaient vers lui dans un même élan éperdu. Son père voyait cette joie et l’accusait secrètement de ne pas comprendre son amour ; il en souffrait. Mais il aurait sa revanche. C’est elle qui va souffrir quand j’aurai parlé, pensait-il. Elle aime l’autre, mais se croira tenue de se donner à moi.

Et maintenant que l’heure fatale approchait, il hésitait. Comment sortir de cette impasse ? Comment briser cette chaîne de plusieurs mois de mensonges, et dont chaque anneau lui meurtrissait le cœur ? Pourquoi s’était-il laissé impliquer dans cette difficulté sans échappatoire ? Pourtant ses intentions avaient toujours été pures et droites. Il avait agi ainsi par crainte de faire souffrir, et c’était lui qui souffrait. À la fin c’était trop