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LES DÉPAYSÉS


HISTOIRE TRISTE


Le train avançait sans une minute de retard. Des paysages rabougris et rugueux de l’Ouest défilaient rapidement. Dans le wagon quelques personnes lisaient, d’autres jouaient aux cartes, plusieurs rêvaient. Bientôt nous arrivons à une petite gare sur la porte de laquelle je lis Siouspious. C’est sans doute le nom indien de l’imitation du cri de l’oiseau. Pendant que je pense à cette bizarre onomatopée, une dame du plus grand air suivie d’une fillette entre dans le wagon. Elle jette un regard circulaire comme un général qui inspecte un champ de bataille, et commence à défaire ses nombreuses fourrures. Je n’ai plus de doute, c’est la bourgeoise de ce modeste village. Elle doit avoir l’habitude de dominer. Ses petits yeux perçants semblent faits pour scruter, son nez recourbé pour fouiller, ses mains ont le geste péremptoire qui signale et commande. Elle accable la petite fille de recommandations affectueuses, de tendres reproches, mais personne ne s’y trompe, c’est pour le wagon.

On lui assigne le fauteuil voisin du mien. Je peux donc l’observer. Elle s’aperçoit que je regarde jouer la petite fille. Elle commande donc à l’enfant de réciter et d’exécuter tout ce qu’elle a appris à l’école. Ça amuse le wagon. D’ailleurs le trajet est long, il faut tuer le temps.