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les dépaysés


Une immense lassitude s’emparait d’elle, son beau rêve s’effondrait. Le dégoût lui monta à la gorge et ses yeux se voilèrent de larmes. Elle fit appel à tout son courage et elle expliqua avec des mots pour les enfants, des exemples gracieux, la lucidité d’un artiste, la leçon qu’on aurait dû préparer à la maison au lieu d’écouter déblatérer contre elle. La vaillante petite institutrice ne capitula pas si tôt devant la bêtise humaine. À la récréation, elle voulut leur enseigner un couplet d’une ronde d’enfants. Pendant qu’elle s’évertuait à leur apprendre les mots et l’air, les filles pouffaient de rire dans leur tablier, et les garçons sifflotaient. Elle ne tarda pas à comprendre qu’elle se heurtait à une mauvaise volonté systématique, et son beau rêve qui se débattait pour vivre sombra tout à fait.

À la récréation du midi, pendant qu’elle était montée à son appartement, des élèves conduites par Thérèse Lebouc avaient jeté son bouquet à terre et l’avaient foulé aux pieds en ricanant. À son retour, quand elle vit ses pauvres fleurs meurtries, écrasées, son angoisse fut si forte qu’elle chancela, prête à défaillir.

— Quel mal vous ont fait ces pauvres fleurs, leur dit-elle avec douceur. C’est une lâcheté d’avoir brisé ces choses innocentes. Vous m’avez fait presque aussi mal que si vous m’aviez marché sur le cœur.

Les élèves la regardèrent d’un air narquois et stupide, ne comprenant qu’à demi ces beaux sentiments, mais comprenant qu’ils lui avaient fait de la peine. Ils s’en réjouissaient, c’était un peu ce qu’ils voulaient. Dans l’enfant mal élevé, il y a déjà toute la férocité et l’égoïsme de l’homme que rien ne retient.