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les dépaysés

tout ce qui l’entourait : dans les arbres, auxquels elle comparait sa robustesse ; dans les sources harmonieuses, auxquelles elle comparait la limpidité de son regard ; aux fruits empourprés, auxquels elle comparait sa jeunesse si fière ; aux champs tumultueux d’émoi, où elle voulait voir les multiples aspects de sa chère âme. Son amour grandissait tous les jours, élevait autour d’elle une muraille sonore qui la devançait en tout lieu. Toujours elle se promenait dans les colonnades de cet amour, aux accords de son cœur qui exultait d’allégresse.

Pourtant, Paul n’avait rien fait pour encourager un sentiment aussi profond, qu’il ignorait par ailleurs. C’est à peine s’il la saluait distraitement lorsqu’il la rencontrait sur la route, mais elle voyait dans ses salutations des preuves qui donnaient à son amour de nouveaux envols. C’était maintenant une chanson éperdue dont tout son cœur était endolori. Elle y pensait toujours, de toute la puissance d’un amour impuissant. Cette dévotion silencieuse commençait à se lasser de rencontrer sans cesse le regard indifférent de celui pour lequel elle aurait tout sacrifier.

L’été et l’automne étaient passés. L’hiver achevait et Paul restait toujours le même, indifférent et distrait. Au commencement du printemps, sa mère mourut. Ce fut pour Jeanne une occasion de se rapprocher de lui. Pendant qu’on veillait la morte, elle y alla plusieurs fois, mais soit que Paul fût sorti ou occupé ailleurs, elle ne le vit pas. Elle comptait sur le matin des funérailles pour lui exprimer ses sympathies. Elle s’y rendit, mais Paul était déjà si entouré par ses parents et amis, si affairé par les préparatifs du convoi funèbre, qu’elle ne put lui