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LES DÉPAYSÉS

la clef de cette énigme, il pleurait de dépit et de nostalgie pour un pays, une famille, une mère qu’il ne connaissait pas. Des lueurs indécises lui venaient quand il croyait voir ce qu’il avait déjà vu. Un jour qu’il neigeait, il pensa qu’il avait déjà vu de la neige, des amoncellements, des avalanches de neige, des champs couverts, des arbres chargés, des maisons encapuchonnées de neige. Et ce fut tout. Cette vision était lointaine, diaphane, ondoyante et intangible. Il crut que son imagination malade et surexcitée lui créait des chimères. D’autre fois, il entrevoyait dans les tréfonds de sa subconscience une étendue d’eau bleue, une falaise sur laquelle était bâtie une ville magique et enchantée. Il croyait entendre des cloches merveilleuses qui sonnaient dans un soir serein. Et il s’accusait de rêver.

Il savait cependant qu’il appartenait à l’armée anglaise. Son uniforme dans lequel on l’avait trouvé en faisait foi. C’était un indice bien vague. Il songea longtemps aux moyens de se faire identifier, mais comment, où aller, parmi tant de milliers de soldats de provenances si diverses et si distantes. Il comprit que c’était une impossibilité. Il se résigna plus triste et plus abattu que jamais.

Cependant son talent d’artiste s’affirmait. On lui proposa une tournée mondiale à commencer par le Canada. On espérait qu’un voyage distrairait sa mélancolie. Lui-même accepta avec l’espoir de chasser ce morne ennui qu’il traînait et que rien ne voulait dissiper.

Il s’embarqua donc. Son premier concert, par une étrange coïncidence, devait avoir lieu dans sa