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Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/29

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Alphonse Rabbe était imbu du sentiment religieux qu’il éprouvait à sa manière, et qui se modifiait chez lui suivant les nécessités et souvent aussi selon les caprices de son existence. Sous le coup irritant de cette idée d’un irrémédiable malheur qui le poursuivait sans cesse, en s’acharnant sur lui, il aurait pu être athée sans qu’on lui en fît un crime. Mais cette âme si vivement remuée dans ses agitations diverses, se sentait une cause au-dessus d’elle-même ; et puis dans le sort d’Alphonse Rabbe, tout n’était pas qu’injustice, et il avait la conscience déchirante que dans ce sort, tel affreux fût-il, il y avait quelque chose de mérité. La plainte lui était permise, mais la plainte avec ces terribles retours sur le passé qui enfantent le repentir : les passions d’une jeunesse fougueuse et d’une organisation de feu ne l’avaient pas laissé sans reproche ; il devait se reconnaître l’artisan des plus grandes misères de sa vie, et par cette douloureuse conviction de ses écarts, il lui était interdit de nier ou même de maudire le puissant arbitre des destinées du ciel et de la terre. D’un autre côté, il ne faut pas refuser aux impressions de l’enfance ce caractère d’indélibilité qui, malgré les réflexions d’un âge