Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/49

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publique, ne fait-il pas un acte de magnanimité ?

Ô vous qui proscrivez et frappez le suicide d’un si facile anathême, vous ne savez pas toute la reconnaissance que vous devez à l’homme généreux et fort, qui vous abandonne ainsi tranquillement sa place et ses droits au banquet de ce monde, où tous ne sont pas également bien traités ; et si au lieu de consacrer sa puissante énergie à briser les liens qui nous attachent si invisiblement à l’existence, il l’avait employée à réclamer sa part de ces mets délicieux, de ces liqueurs enivrantes qui excitent votre impétueuse convoitise ; si non content de la sienne il eût encore voulu celle de ses voisins, à l’exemple de tant d’autres ; si plaçant dans vos rangs pusillanimes sa large individualité, il vous eût refoulés les uns sur les autres ; si plus ambitieux et plus méchant, il eût confusément renversé les tables et les convives, et des torches que portent vos esclaves, incendié la salle du festin : expirans sous ses ruines, combien voudriez-vous que ce redoutable adversaire eût lui-même étouffé sa force dans un précoce tombeau !

Telle est la déplorable imperfection de notre nature humaine, et surtout le résultat de la société, que le plus homme de bien n’est souvent que celui qui fait le moins de mal ; que l’on ne vienne donc pas me dire que je veux sanctifier un crime, par la supposition exagérée et fausse de crimes plus grands que le suicide prévient, Il est certain que celui dont