Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/55

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forte, don si rare ; mais l’adversité qui frappe chacun de ces êtres de convention, destitués des socles sur lesquels ils figuraient dans ce monde factice ; l’adversité pressante, impérieuse, souscrira-t-elle une convention, pour garantir cet apprentissage d’une nouvelle vie ? Non ! il faut pourvoir au moment, et le besoin d’aujourd’hui sera père de l’infamie de demain.

Que l’on prenne garde que je raconte les effets de la société, telle que les temps, les hommes et le sort nous l’ont faite, et que je préconise le suicide, non point comme étant un acte d’une bonté morale positive, mais comme un terrible remède, comme le moindre des maux à choisir dans cette fréquente et si cruelle alternative : vivre avili, ou mourir respecté.

Je sais que ces mots rigoureux d’infamie et d’avilissement, les lois de la société et son langage ne les attachent qu’à des actes d’une immoralité grossière, ou d’une bassesse odieuse, et sans doute dans ce sens, il y aurait plus que de l’exagération, il y aurait une sorte d’animosité anti-sociale, à prétendre que la conservation de la vie soit fréquemment pour les hommes bien nés le prix de ces extrémités dégradantes ; mais si dans nos mœurs il a fallu augmenter la flexibilité des principes, et accroître la mesure d’indulgence qu’a, dans tous les temps, réclamée la faiblesse humaine, une âme austère et généreuse