Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/59

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de notre meilleur ami quelque chose qui ne nous déplaît pas. Cette révoltante observation énoncée d’une manière si tranquille, constate pourtant le caractère de sensibilité de la plupart des gens qui se piquent d’en avoir. Ce sentiment ou cette disposition de l’âme touche de trop près par ses racines au domaine de l’amour de soi : il faut s’en méfier. Je croirai, en vertu d’une assez longue étude des effets propres de cette sensibilité, vantée comme un don très précieux, qu’elle compromet plus souvent la cause du malheur qu’elle ne la protège. La sensibilité est extrêmement exigeante, et la privation du retour de gratitude sur lequel il est rare qu’elle ne compte pas, la transforme en des dispositions contraires, et de la nature la plus odieuse ; c’est ainsi que la haine naît souvent des ruines de l’amour le plus vif. L’homme froid et médiocrement impressionable, qui ne s’attachant jamais aux individus, et peu ému de leurs souffrances, fait le bien pourtant, en vertu d’une certaine tendance à l’ordre, et d’une certaine théorie sur la dignité de l’espèce, laquelle ne peut se maintenir dans l’abaissement de la plupart, que par la grandeur morale de quelques-uns, me semble un agent beaucoup mieux choisi et beaucoup plus distingué des desseins de la Providence ici bas.

Quoi qu’il en soit, néanmoins, des exagérations et des fausses directions de cette sensibilité que l’on