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XII NOTICE HISTORIQUE SUR LA VIE

qui allaient couvrir la France de potences et de bûchers. Rabelais, aussi bien que Berquin , haïssait mortellement l’ânerie des sorbonnistes et moines , de sorte que souvent il ne pouvait dissimuler, voire entre les plus apparens du royaume, de dire contre eux ce qui lui en semblait^. 11 était donc gravement compromis, et il se trouvait exposé à la vengeance des moines, qu’il n’avait que trop expérimentée déjà. Ce fut en présence d’un danger imminent qu’il dut renoncer à sa chère ville de Chinon, où il avait pignon sur rue ; à son clos de la Devinière, où il récoltait de si joli vin ; à sa petite chambre d’étude du château de Legugé ; à son bon maître l’évêque de Maillezais, à ses amis, à tout ce qui l’attachait au sol de la Touraine et du Poitou. Il s’en alla seul, à l’âge de quarante-deux ans, étudier la médecine à .Montpellier, dans cette Faculté célèbre qui avait fait oublier l’ancienne école de Salerne.

On raconte que, le jour même de son arrivée à Montpellier, il suivit la foule qui se portait à la Faculté de médecine pour entendre une thèse publique, et s’étant mêlé aux auditeurs dans la grande salle, il ne s’occupa d’abord qu’à regarderas tableaux qui la décoraient ; mais comme la discussion s’engageait sur la vertu des plantes et des herbes, il prêta l’oreille, et manifesta bientôt son mécontentement par une pantomime étrange qui attira l’attention de toute l’assemblée : il branlait la tête, haussait les épaules, roulait des jeux ardens, grinçait des dents, rongeait ses ongles, se frappait la poitrine. Le doyen lui envoya un appariteur qui le pria d’entrer dans l’enceinte réservée aux docteurs et de prendre part à la discussion. Rabelais, dont l’air majestueux et la belle physionomie avaient commandé une sorte de respect aux membres de la Faculté, s’excusa d’émettre son avis en présence de tant d’illustres professeurs, lui qui n’était pas même bachelier en médecine : après cet-exorde plein de convenance et de modestie, il entra de plain-pied dans la discussion, et abordant une à une toutes les questions de botanique médicale qui avaient été posées, il les traita si éloquemment, si profondément, si ingénieusement, que la surprise et l’admiration des assistans éclatèrent avec transport et accompagnèrent Rabelais à la suite de cette thèse improvisée, qui remplaça pour lui celle du baccalauréat’^.

Le lendemain il s’inscrivit sur les registres des matricules, en ces termes, qui ne reproduisent que le sens de l’élégant latin de i’origi-

’ On peut appliquer à Rabelais ce que Simon Goulard dit de Berquin (Hist. des "Martyrs persécutés et mis à mort pour la vérité de l’Evangile, édition in-fol. de 1619,pag.104,avec qui l'auteur du Pantagruel a une singulière analogie de sentiments et de but.-' Voy. Elogia Rabeloesina,prem.part.pag.340