Page:Rabelais - Œuvres, édition Lacroix, 1857.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sale huylier. Pourtant, interpretez tous mes faictz et mes dictz en la perfectissime partie ; ayez en reuerence le cerceau caseiforme qui vous paist de ces belles billeuezees, et a vostre pouuoir tenez moy tousiours ioyeulx.

Or esbaudissez vous, mes amours, et guayement lisez tout a l’aise du cors et au proufict des reins. Mais escoutaz, vietzdazes[1], que le maulubec vous trousque[2] : vous soubvienne de boyre a my pour la pareille, et ie vous pleigeray[3] tout ares metys[4].

CHAPITRE PREMIER. — De la genealogie et anticquité de Gargantua.

Ie vous remetz a la grande chronicque pantagrueline a congnoistre la genealogie et anticquité d’ond nous est venu Gargantua. En icelle vous entendrez plus au long comment les geands nasquirent en ce monde, et comment d’iceulx par lignes directes yssit Gargantua, pere de Pantagruel : et ne vous faschera si pour le present ie m’en deporte. Combien que la chose soit telle que, tant plus seroit remembree, tant plus elle plairoit a vos seigneuries : comme vous auez l’authorité de Platon in Philebo, et Gorgius, et de Flacce[5], qui dict estre aulcuns propous, telz que ceulx cy sans doubte, qui plus sont delectables quand plus souuent sont redictz.

Pleust a Dieu qu’ung chascun sceust aussi certainement sa genealogie, depuis l’arche de Noé iusques a cet eage. Ie pense que plusieurs sont auiourd’huy empereurs, roys, ducz, princes, et papes en la terre, lequelz sont descenduz de quelques porteurs de rogatons, et de coustrez[6]. Comme, au rebours, plusieurs sont gueux de l’hostiere[7], souffreteux et miserables, lesquelz sont descenduz de sang et ligne de grands roys et empereurs ; attendu l’admirable transport des regnes et empires :

Des Assyriens, es Medes :
Des Medes, es Perses :
Des Perses, es Macedones :
Des Macedones, es Romains :
Des Romains, es Grecz :
Des Grecz, es François :

Et pour vous donner a entendre de moy, qui parle, ie cuide que soye descendu de quelque riche roy, ou prince, au temps jadis. Car oncques ne veistes homme qui eust plus grande affection d’estre roy et riche que moy : affin de faire grand chiere, pas ne trauailler, point ne me soucier, et bien enrichir mes amys, et tous gens de bien et de sçauoir. Mais, en ce, ie me reconforte que en l’aultre monde ie le seray ; voyre plus grand que de present ne l’auseroye soubhaiter. Vous, en telle ou meilleure pensee, reconfortez vostre malheur, et beuuez frai si faire se peult.

Retournant a noz moutons[8], ie dy que, par don souuerain des

  1. Visage d’âne (provençal)
  2. Que l’ulcère vous ronge.
  3. Cautionnerai.
  4. Immediatement. exp. gasconne employée par Goudouli.
  5. V. Horat. Art. poet. v. 365.
  6. Colrets
  7. Hôpital
  8. Proverbe qui fait allusion a la fable de Pathelin.