Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/143

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accompagné de jeunes gens agrestes, tous nus, toujours dansants et sautants, ayants queues et cornes, comme ont les jeunes chevreaux, et grand nombre de femmes ivres. Dont se résolurent les laisser outre passer, sans y résister par armes, comme si à honte, non à gloire, déshonneur et ignominie leur revînt, non à honneur et prouesse, avoir de telles gens victoire. En cetui dépris[1], Bacchus toujours gagnait pays et mettait tout à feu, pour ce que feu et foudre sont de Bacchus les armes paternelles, et avant naître au monde fut par Jupiter salué de foudre, sa mère Semelé et sa maison maternelle arse[2] et détruite par feu, et à sang pareillement, car naturellement il en fait au temps de paix et en tire au temps de guerre. En témoignage sont les champs en l’île de Samos dits Panéma, c’est-à-dire tout sanglant, auxquels Bacchus les Amazones acconçut[3], fuyantes de la contrée des Éphésians, et les mit toutes à mort par phlébotomie, de mode que le dit champ était de sang tout embu[4] et couvert. Dont pourrez dorénavant entendre mieux que n’a décrit Aristotèles en ses problèmes, pourquoi jadis on disait en proverbe commun : « En temps de guerre ne mange et ne plante menthe. » La raison est, car en temps de guerre sont ordinairement départis[5] coups sans respect : donc l’homme blessé, s’il a celui jour manié ou mangé menthe, impossible est, ou bien difficile, lui restreindre le sang. Conséquemment était en la susdite emblémature[6] figuré comment Bacchus marchait en bataille et était sur un char magnifique tiré par trois couples de jeunes pards[7] joints ensemble ; sa face était comme d’un jeune enfant, pour enseignement que tous bons buveurs jamais n’envieillissent, rouge comme un chérubin, sans un poil de barbe au menton. En tête portait cornes aiguës ; au-dessus d’icelles une belle couronne faite de pampres et de raisins, avec une mitre rouge cramoisine, et était chaussé de brodequins dorés.

En sa compagnie n’était un seul homme. Toute sa garde et toutes ses forces étaient de Bassarides, Évantes, Évhyades, Édonides, Triéthérides, Ogygies, Mimallones, Ménades, Thyades et Bacchides[8], femmes forcenées[9], furieuses, enragées, ceintes de dragons et serpents vifs en lieu de ceintures, les cheveux voletants en l’air, avec fronteaux de vignes ; vêtues de peaux de cerfs et de chèvres, portants en main petites haches, thyrses, rançons[10] et hallebardes en forme de noix de pin, et certains

  1. Mépris.
  2. Brûlée.
  3. Rejoignit.
  4. Imbibé.
  5. Distribués.
  6. Mosaïque.
  7. Léopards.
  8. (Noms de bacchantes et prêteresses de Bacchus).
  9. Hors de sens.
  10. Crocs.