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Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/145

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Les Satyres, capitaines, sergents de bandes, caps[1] d’escadre, corporals[2], avec cornaboux[3] sonnant les orthies[4], furieusement tournaient autour de l’armée à sauts de chèvres, à bonds, à pets, à ruades et pénades[5], donnants courage aux compagnons de vertueusement combattre. Tout le monde en figure criait Évohé. Les Ménades premières faisaient incursion sur les Indiens avec cris horribles et sons épouvantables de leurs tymbons[6] et boucliers. Tout le ciel en retentissait, comme désignait l’emblémature[7], afin que plus tant n’admiriez l’art d’Apelles, Aristides Thébain, et autres qui ont peint les tonnerres, éclairs, foudres, vents, paroles, mœurs et les esprits.

Conséquemment était l’ost[8] des Indiens comme averti que Bacchus mettait leur pays en vastation[9]. En front étaient les éléphants chargés de tours, avec gens de guerre en nombre infini ; mais toute l’armée était en route[10], et contre eux et sur eux se tournaient et marchaient leurs éléphants, par le tumulte horrible des Bacchides et la terreur panique qui leur avait le sens tollu[11]. Là eussiez vu Silénus son âne aigrement talonner et s’escrimer de son bâton à la vieille escrime, son âne voltiger après les éléphants la gueule bée, comme s’il braillait, et braillant martialement (en pareille braveté que jadis éveilla la nymphe Lotis en pleins Bacchanales, quand Priapus, plein de priapisme, la voulait dormant priapiser sans la prier) sonnât l’assaut.

Là eussiez vu Pan sauteler avec ses jambes tortes[12] autour des Ménades, avec sa flûte rustique les exciter à vertueusement combattre. Là eussiez aussi vu en après un jeune Satyre mener prisonniers dix-sept rois, une Bacchide tirer avec ses serpents quarante et deux capitaines, un petit Faune porter douze enseignes prises sur les ennemis, et le bonhomme Bacchus sur son char se pourmener[13] en sûreté parmi le camp, se gaudissant[14] et buvant d’autant[15] à un chacun. Enfin était représente en figure emblématique le trophée de la victoire et le triomphe du bon Bacchus.

Son char triomphant était tout couvert de lierre, pris et cueilli en la montagne Méros, et ce pour la rarité, laquelle hausse le prix de toutes choses, en Indie expressément, d’icelles herbes. En ce depuis l’imita Alexandre le Grand en son triomphe in-

  1. Têtes.
  2. Caporaux.
  3. Cornets à bouquin.
  4. (Chants de mort).
  5. Sauts de moutons.
  6. Tambourins.
  7. La mosaïque.
  8. L’armée.
  9. Dévastation.
  10. Déroute.
  11. Ravi.
  12. Tordues.
  13. Promener.
  14. Se réjouissant.
  15. En se faisant raison.