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LE QUART LIVRE
des faits et dits héroïques du noble Pantagruel,
composé par M. François Rabelais,
docteur en médecine.
(Suite)

COMMENT APRÈS LA TEMPÊTE PANTAGRUEL DESCENDIT ÈS ÎLES DES MACRÉONS.


Sur l’instant nous descendîmes au port d’une île laquelle on nommait l’île des Macréons. Les bonnes gens du lieu nous reçurent honorablement. Un vieil Macrobe (ainsi nommaient-ils leur maître échevin) voulait mener Pantagruel en la maison commune de la ville, pour soi rafraîchir à son aise et prendre sa réfection ; mais il ne voulut partir du môle que tous ses gens ne fussent en terre. Après les avoir reconnus, commanda chacun être mué de vêtements et toutes les munitions des nefs être en terre exposées, à ce que[1] toutes les chiourmes[2] fissent chère lie. Ce que fut incontinent fait. Et Dieu sait comment il y eut bu et gallé[3] ! Tout le peuple du lieu apportait vivres en abondance. Les Pantagruélistes leur en donnaient davantage. Vrai est que leurs provisions étaient aucunement endommagées par la tempête précédente. Le repas fini, Pantagruel pria un chacun soi mettre en office et devoir pour réparer le bris. Ce que firent et de bon hait[4]. La réparation leur était facile, parce que tout le peuple de l’île étaient charpentiers et tous artisans tels que voyez en l’arsenal de Venise. Et l’île grande seulement était habitée en trois ports et dix paroisses : le reste était bois de haute futaie et désert, comme si fût la forêt d’Ardenne.

À notre instance, le vieil Macrobe montra ce qu’était spectable[5] et insigne en l’île, et, par la forêt ombrageuse et déserte,

  1. De manière que.
  2. Équipages de rameurs.
  3. Régalé.
  4. Cœur.
  5. Digne d’être vu.