Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/55

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autour. Frère Jean, es-tu là, mon ami ? Tiens-toi près de moi, je te supplie. As-tu ton braquemart[1] ? Avise qu’il ne tienne au fourreau. Tu ne le dérouilles point à demi. Nous sommes perdus. Écoutez : ce sont par Dieu coups de canon. Fuyons. Je ne dis de pieds et de mains, comme disait Brutus en la bataille pharsalique, je dis à voiles et à rames. Fuyons. Je n’ai point de courage sur mer. En cave et ailleurs j’en ai tant et plus. Fuyons. Sauvons-nous. Je ne le dis pour peur que j’aie, car je ne crains rien fors les dangers. Je le dis toujours. Aussi disait le franc archer de Bagnolet. Pourtant n’hasardons rien, à ce que ne soyons nasardés. Fuyons. Tourne visage. Vire la peautre[2], fils de putain ! Plût à Dieu que présentement je fusse en Quinquenais[3] à peine de jamais ne me marier ! Fuyons, nous ne sommes pas pour eux. Ils sont dix contre un, je vous en assure. Davantage ils sont sur leurs fumiers, nous ne connaissons le pays. Ils nous tueront. Fuyons, ce ne nous sera déshonneur. Démosthènes dit que l’homme fuyant combattra derechef. Retirons-nous pour le moins. Orche[4], poge[5], au trinquet[6], aux boulingues[7]. Fuyons de par tous les diables, fuyons. »

Pantagruel, entendant l’esclandre que faisait Panurge, dit : « Qui est ce fuyard là-bas ? Voyons premièrement quels gens sont. Par aventure sont-ils nôtres. Encore ne vois-je personne, et si[8] vois cent mille à l’entour. Mais entendons. J’ai lu qu’un philosophe nommé Pétron était en cette opinion que fussent plusieurs mondes soi touchants les uns les autres en figure triangulaire équilatérale, en la patte[9] et centre desquels disait être le manoir de vérité, et l’habiter les paroles, les idées, les exemplaires[10] et protraits[11] de toutes choses passées et futures, autour d’icelles être le siècle. Et en certaines années, par longs intervalles, part[12] d’icelles tomber sur les humains comme catarrhes, et comme tomba la rosée sur la toison de Gédéon, part là rester réservée pour l’avenir, jusques à la consommation du siècle. Me souvient aussi qu’Aristotèles maintient les paroles d’Homère être voltigeantes, volantes, mouvantes, et par conséquent animées.

« Davantage[13] Antiphanes disait la doctrine de Platon ès paroles être semblable, lesquelles en quelque contrée, on[14] temps du fort hiver, lorsque sont proférées, gèlent et glacent à la froideur de l’air et ne sont ouïes, semblablement ce que Platon

  1. Épée.
  2. La barre.
  3. (Lieu dit près de Chinon).
  4. Babord.
  5. Tribord.
  6. Au mât de misaine.
  7. Aux boulines.
  8. Pourtant.
  9. L’attache.
  10. Exemples.
  11. Portraits.
  12. Partie.
  13. En outre.
  14. Au.