Pantagruel leur envoya par Gymnaste dedans l’esquif son aumône : soixante et dix-huit mille beaux petits écus à la lanterne. Puis demanda : « Quantes[1] heures sont ?
— Neuf et davantage, répondit Épistémon.
— C’est, dit Pantagruel, juste heure de dîner, car la sacre ligne tant célébrée par Aristophanes en sa comédie intitulée les Prédicantes approche, laquelle lors échoit quand l’ombre est décempédale[2]. Jadis entre les Perses l’heure de prendre réfection était ès rois seulement prescrite : à un chacun autre était l’appétit et le ventre pour horologe. De fait, en Plaute, certain parasite soi complaint[3], et déteste[4] furieusement les inventeurs d’horologes et cadrans, étant chose notoire qu’il n’est horologe plus juste que le ventre. Diogènes, interrogé à quelle heure doit l’homme repaître, répondit : « Le riche quand il aura faim, le pauvre quand il aura de quoi. » Plus proprement disent les médecins l’heure canonique[5] être :
Lever à cinq, dîner à neuf ;
Souper à cinq, coucher à neuf.
« La magie du célèbre roi Pétosiris était autre. » Ce mot n’était achevé, quand les officiers de gueule[6] dressèrent les tables et buffets, les couvrirent de nappes odorantes, assiettes, serviettes, salières, apportèrent tanquars[7], frisons[8], flacons tasses, hanaps, bassins, hydries[9]. Frère Jean, associé des maîtres d’hôtel, escarques[10], panetiers, échansons, écuyers tranchants, coupiers[11], crédentiers[12], apporta quatre horrifiques pâtés de jambon si grands qu’il me souvint des quatre bastions de Turin. Vrai Dieu, comment il y fut bu et galé[13] ! Ils n’avaient encore le dessert, quand le vent ouest-nord-ouest commença enfler les voiles, papefils[14], morisques[15] et trinquets[16], dont tous chantèrent divers cantiques à la louange du très haut Dieu des ciels.
Sur le fruit, Pantagruel demanda : « Avisez, amis, si vos doutes sont à plein résolus.
— Je ne bâille plus, Dieu merci, dit Rhizotome.
— Je ne dors plus en chien, dit Ponocrates.