Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/82

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roc auprès duquel reconnaissions un ermitage et quelque petit jardinet.

Là trouvâmes un petit bonhomme ermite nomme Braguibus, natif de Glenay[1], lequel nous donna pleine instruction de toute la sonnerie, et nous festoya d’une étrange façon. Il nous fit quatre jours conséquents jeûner, affirmant qu’en l’île Sonnante autrement reçus ne serions, parce que lors était le jeûne des Quatre-Temps. « Je n’entends point, dit Panurge, cet énigme : ce serait plutôt le temps des quatre vents, car jeûnant ne sommes farcis que de vent. Et quoi, n’avez-vous ici autre passe-temps que de jeûner ? Me semble qu’il est bien maigre : nous nous passerions bien de tant de fêtes du palais.

— En mon donat, dit frère Jean, je ne trouve que trois temps, preterit, présent et futur : ici le quatrième doit être pour le vin[2] du valet.

— Il est, dit Épistémon, aoriste issu de preterit très imparfait des Grecs et des Latins, en temps garré[3] et bigarré reçu. Patience, disent les ladres.

— Il est, dit l’ermite, fatal, ainsi comme je vous l’ai dit. Qui contredit est hérétique, et ne lui faut rien que le feu.

— Sans faute, pater, dit Panurge, étant sur mer, je crains beaucoup plus être mouillé que chauffé, et être noyé que brûlé. Bien jeûnons de par Dieu, mais j’ai par si longtemps jeûné que les jeûnes m’ont sapé toute la chair, et crains beaucoup qu’enfin les bastions de mon corps viennent en décadence. Autre peur ai-je davantage, c’est de vous fâcher en jeûnant, car je n’y sais rien, et y ai mauvaise grâce, comme plusieurs m’ont affirmé, et je les crois. De ma part, dis-je, bien peu me soucie de jeûner : il n’est chose tant facile et tant à main. Bien plus me soucie de ne jeûner point à l’avenir, car là il faut avoir de quoi draper et de quoi mettre au moulin. Jeûnons, de par Dieu, puisque entrés sommes ès fériés ésuriales[4] ; jà longtemps a que ne les reconnaissais.

— Et si jeûner faut, dit Pantagruel, expédient autre n’y est fors nous en dépêcher[5] comme d’un mauvais chemin. Aussi bien veux-je un peu visiter mes papiers, et entendre si l’étude marine est aussi bonne comme la terrienne, pour ce que Platon, voulant décrire un homme niais, impérit et ignorant, le compare à gens nourris en mer dedans les navires, comme nous dirions

  1. Près de Thouars (Deux-Sèvres).
  2. Pourboire.
  3. Varié.
  4. Fêtes où le ventre chôme.
  5. Débarrasser.