« L’une partie ira ruer[1] sur ce Grandgousier et ses gens. Par icelle sera de prime abordée[2] facilement déconfit. Là recouvrerez argent à tas, car le vilain a du comptant. Vilain, disons-nous, parce qu’un noble prince n’a jamais un sou. Thésauriser est fait de vilain.
« L’autre partie, cependant, tirera vers Aunis, Saintonge, Angoumois et Gascogne, ensemble Périgot[3], Médoc et Elanes[4]. Sans résistance prendront villes, châteaux et forteresses. À Bayonne, à Saint-Jean-de-Luc et Fontarabie, saisirez toutes les naufs[5], et côtoyant vers Galice et Portugal, pillerez tous les lieux maritimes jusques à Ulisbonne[6], où aurez renfort de tout équipage requis à un conquérant. Par le corbieu ! Espagne se rendra, car ce ne sont que madourrés[7] ! Vous passerez par l’étroit[8] de Sibyle et là érigerez deux colonnes plus magnifiques que celles d’Hercule à perpétuelle mémoire de votre nom, et sera nommé cetui détroit la mer Picrocholine.
« Passée la mer Picrocholine, voici Barberousse qui se rend votre esclave…
— Je, dit Picrochole, le prendrai à merci.
— Voire, dirent-ils, pourvu qu’il se fasse baptiser… Et oppugnerez[9] les royaumes de Tunic, d’Hippes, Argière[10], Bône, Corone, hardiment toute Barbarie. Passant outre, retiendrez en votre main Majorque, Minorque, Sardaigne, Corsique et autres îles de la mer Ligustique et Baléare.
« Côtoyant à gauche, dominerez toute la Gaule Narbonique, Provence et Allobroges, Gênes, Florence, Luques et à Dieu seas[11] Rome ! Le pauvre Monsieur du Pape meurt déjà de peur.
— Par ma foi, dit Picrochole, je ne lui baiserai jà sa pantoufle.
— Prise Italie, voilà Naples, Calabre, Apouille[12] et Sicile toutes à sac, et Malte avec. Je voudrais bien que les plaisants chevaliers jadis Rhodiens vous résistassent pour voir de leur urine !
— J’irais, dit Picrochole, volontiers à Lorette.
— Rien, rien, dirent-ils, ce sera au retour. De là prendrons Candie, Chypre, Rhodes et les îles Cyclades, et donnerons sur la Morée. Nous la tenons. Saint Treignan, Dieu gard’ Jérusalem ! car le Soudan n’est pas comparable à votre puissance.