Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/130

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répondit que sans doute leurs ennemis avaient le moine : « Ils auront, dit Grandgousier, donc male encontre[1], » ce qu’avait été bien vrai. Pourtant[2] encore est le proverbe en usage de bailler le moine à quelqu’un.

Adonc commanda qu’on apprêtât très bien à déjeuner pour les rafraîchir. Le tout apprêté, l’on appela Gargantua ; mais tant lui grevait[3] de ce que le moine ne comparait[4] aucunement qu’il ne voulait ni boire ni manger. Tout soudain le moine arrive, et, dès la porte de la basse-cour, s’écria : « Vin frais, vin frais, Gymnaste, mon ami ! » Gymnaste sortit, et vit que c’était frère Jean qui amenait cinq pèlerins et Touquedillon prisonnier. Dont Gargantua sortit au devant, et lui firent le meilleur recueil[5] que purent, et le menèrent devant Grandgousier, lequel l’interrogea de toute son aventure. Le moine lui disait tout, et comment on l’avait pris, et comment il s’était défait des archers, et la boucherie qu’il avait fait par le chemin, et comment il avait recouvert[6] les pèlerins et amené le capitaine Touquedillon.

Puis se mirent à banqueter joyeusement tous ensemble. Cependant Grandgousier interrogeait les pèlerins de quel pays ils étaient, dont ils venaient, et où ils allaient. Lasdaller pour tous répondit : « Seigneur, je suis de Saint-Genou en Berry, cetui-ci est de Paluau, cetui-ci d’Onzay, cetui-ci est d’Argy, et cetui-ci est de Villebrenin. Nous venons de Saint-Sébastien près de Nantes, et nous en retournons par nos petites journées.

— Voire, mais, dit Grandgousier, qu’alliez-vous faire à Saint-Sébastien ?

— Nous allions, dit Lasdaller, lui offrir nos votes[7] contre la peste.

— Ô ! dit Grandgousier, pauvres gens, estimez-vous que la peste vienne de saint Sébastien ?

— Oui vraiment, dit Lasdaller, nos prêcheurs nous l’affirment.

— Oui ? dit Grandgousier, les faux prophètes vous annoncent-ils tels abus ? Blasphèment-ils en cette façon les justes et saints de Dieu qu’ils les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains, comme Homère écrit que la peste fut mise en l’ost[8] des Grégeois par Apollo, et comme les poètes feignent un grand tas de Véjoves[9] et dieux malfaisants ? Ainsi prêchait à Sinais un cafard que saint Antoine mettait le feu ès jambes, saint Eutrope faisait les hydropiques, saint Gildas les

  1. Mauvaise rencontre.
  2. C’est pourquoi.
  3. Pesait.
  4. Comparaissait.
  5. Accueil.
  6. Recouvré.
  7. Vœux.
  8. Armée.
  9. Dieux malfaisants.