Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/141

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nous apporter. C’est la nature de gratuité, car le temps, qui toute chose ronge et diminue, augmente et accroît les bienfaits, parce qu’un bon tour, libéralement fait à homme de raison, croît continuement par noble pensée et remembrance. Ne voulant donc aucunement dégénérer de la débonnaireté héréditaire de mes parents, maintenant je vous absous et délivre, et vous rends francs et libères[1] comme par avant.

« D’abondant[2], serez à l’issue des portes payés chacun pour trois mois, pour vous pouvoir retirer en vos maisons et familles, et vous conduiront en saulveté[3] six cents hommes d’armes et huit mille hommes de pied sous la conduite de mon écuyer Alexandre, afin que par les paysans ne soyez outragés. Dieu soit avec vous. Je regrette de tout mon cœur que n’est ici Picrochole, car je lui eusse donné à entendre que, sans mon vouloir, sans espoir d’accroître ni mon bien ni mon nom, était faite cette guerre. Mais puisqu’il est éperdu[4] et ne sait-on où ni comment est évanoui, je veux que son royaume demeure entier à son fils, lequel par ce qu’est par trop bas d’âge (car il n’a encore cinq ans accomplis) sera gouverné et instruit par les anciens princes et gens savants du royaume. Et par autant[5] qu’un royaume ainsi désolé serait facilement ruiné si on ne réfrénait la convoitise et avarice des administrateurs d’icelui, j’ordonne et veux que Ponocrates soit sur tous ses gouverneurs entendant[6], avec autorité à ce requise, et assidu avec l’enfant jusques à ce qu’il le connaîtra idoine[7] de pouvoir par soi régir et régner.

« Je considère que facilité trop énervée et dissolue de pardonner ès malfaisants leur est occasion de plus légèrement derechef mal faire, par cette pernicieuse confiance de grâce. Je considère que Moise, le plus doux homme qui de son temps fût sur la terre, aigrement[8] punissait les mutins et séditieux on[9] peuple d’Israel. Je considère que Jules César, empereur tant débonnaire que de lui dit Cicéron que sa fortune rien plus souverain n’avait sinon qu’il pouvait, et sa vertu meilleur n’avait sinon qu’il voulait toujours sauver et pardonner à un chacun, icelui toutefois, ce nonobstant, en certains endroits punit rigoureusement les auteurs de rébellion.

« À ces exemples, je veux que me livrez avant le départir[10], premièrement ce beau Marquet, qui a été source et cause première de cette guerre par sa vaine outrecuidance ; secondement,

  1. Libres.
  2. De plus.
  3. Sûreté.
  4. Perdu complètement.
  5. Par cela que.
  6. Contrôleur.
  7. Capable.
  8. Sévèrement.
  9. Au.
  10. Départ.