Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/195

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belle robe de satin cramoisi et d’une cotte de velours blanc bien précieux. Le jour de la vigile, Panurge chercha tant, d’un côté et d’autre, qu’il trouva une lycisque orgoose[1], laquelle il lia avec sa ceinture et la mena en sa chambre, et la nourrit très bien ce dit jour et toute la nuit. Au matin, la tua et en prit ce que savent les géomantiens grégeois[2], et le mit en pièces le plus menu qu’il put, et les emporta bien cachées, et alla à l’église où la dame devait aller pour suivre la procession, comme est de coutume à ladite fête. Et alors qu’elle entra, Panurge lui donna de l’eau bénite, bien courtoisement la saluant, et quelque peu de temps après qu’elle eût dit ses menus suffrages, il se va joindre à elle en son banc, et lui bailla un rondeau par écrit, en la forme que s’ensuit :


Rondeau

Pour cette fois qu’à vous, dame très belle,
Mon cas disais, par trop fûtes rebelle
De me chasser, sans espoir de retour,
Vu qu’à vous oncq[3] ne fis austère tour
En dit, ni fait, en soupçon ni libelle.
Si tant à vous déplaisait ma querelle,
Vous pouviez par vous, sans maquerelle,
Me dire : « Ami, partez d’ici entour.
Pour cette fois. »

Tort ne vous fais, si mon cœur vous décèle,
En remontrant comme l’ard[4] l’étincelle
De la beauté que couvre votre atour,
Car rien n’y quiers, sinon qu’en votre tour
Me fassiez de hait[5] la combrecelle[6],
Pour cette fois.

Et, ainsi qu’elle ouvrit le papier, pour voir que c’était, Panurge promptement sema la drogue qu’il avait sur elle en divers lieux, et mêmement[7] aux replis de ses manches et de sa robe, puis lui dit : « Madame, les pauvres amants ne sont toujours à leur aise. Quand est de moi, j’espère que

Les males[8] nuits,
Les travaux et ennuis,

  1. Chienne en rut.
  2. Devins grecs.
  3. Onques.
  4. Le brûle.
  5. Allégrement.
  6. Culbute.
  7. Particulièrement.
  8. Mauvaises.