peuple, semblans non de la bouche, mais du ventre parler et respondre
a ceulx qui les interrogeoyent. Telle estoyt, enuiron l’an de
nostre benoist Seruateur 1513, Iacobe Rodogine, italiane femme, de
basse maison. Du ventre de laquelle nous auons souuent ouy, aussi
ont aultres infiniz en Ferrare et ailleurs, la voix de l’esperit immonde,
certainement basse, foible et petite ; toutesfoys bien articulée, distincte
et intelligible, lorsque, par la curiosité des riches seigneurs
et princes de la Gaulle cisalpine, elle estoyt appellee et mandee.
Lesquelz, pour ester tout doubte de fiction et fraude occulte, la faisoyent
despouiller toute nue, et luy faisoyent clourre la bouche et le
nez. Cestuy maling esperit se faisoyt nommer Crespelu, ou Cincinnatule :
et sembloyt prendre plaisir ainsi estant appellé. Quand ainsi
on l’appelloit, soubdain aux propous respondoyt. Si on l’interrogeoyt
des cas presens ou passez, il en respondoyt pertinemment, iusques a
tirer les auditeurs en admiration. Si des choses futures, tousiours
mentoyt, iamais n’en disoyt la vérité. Et souuent sembloyt confesser
son ignorance, en lieu d’y respondre faisant ung gros ped, ou marmonnant
quelques motz non intelligibles et de barbare termination.
Les Gastrolatres, d’ung aultre cousté, se tenoyent serrez par trouppes
et par bandes, ioyeulx, mignars, douilletz aulcuns, aultres tristes,
graues, seueres, rechignez ; tous ocieux, rien ne faisans, point ne trauaillans,
poidz et charge inutille de la terre, comme dict Hesiode :
craignans (selon qu’on pouoyt iuger) le ventre offenser et emmaigrir.
Au reste, masquez, desguisez et vestuz tant estrangement que c’estoyt
belle chose. Vous distes, et est escript par plusieurs saiges et
anticques philosophes, que l’industrie de nature appert merueilleuse
en l’esbatement qu’elle semble auoir prins formant les coquilles de
mer : tant y veoid on de variété, tant de figures, tant de couleurs,
tant de traictz et formes non imitables par art. Ie vous asseure qu’en
la vesture de ces Gastrolatres coquillons[1], ne veismes moins de diuersité
et desguisemenl. Ilz tous tenoyent Gaster pour leur grand
dieu, l’adoroyent comme dieu, luy sacrifioyent comme a leur dieu
omnipotent, ne recongnoissoyent aultre dieu que luy, le seruoyent,
aymoyent sus toutes choses, honnoroyent comme leur dieu. Vous eussiez dict que proprement d’eulx auoyt le sainct enuoyé[2] escript, Philippens. iii : « Plusieurs sont desquelz souuent ie vous ay parlé (encores présentement ie vous diz les larmes a l’oeil) ennemys de la croix du Christ : desquelz mort sera la consommation, desquelz ventre est le dieu. » Pantagruel les comparoyt au cyclope Polyphemus,
lequel Euripides faict parler comme s’ensuyt[3]: Ie ne sacrifie
qu’a moy (aux dieux point) et a cestuy mon ventre, le plus grand de tous les dieux.
CHAPITRE LIX. — De la ridicule statue appellee Manduce ; et comment et quelles choses sacrifient les Gastrolatres a leur dieu ventripotent.
Nous, considerans le minoys et les gestes de ces poiltrons magni-