Page:Rabelais marty-laveaux 01.djvu/255

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que l’on leve au soir entre les deux grosses tours du havre ; l’aultre est à Lyon, l’aultre à Angiers, et la quarte fut emportée des diables pour lier Lucifer, qui se deschaisnoit en ce temps là, à cause d’une colicque qui le tormentoit extraordinairement, pour avoir mangé l’ame d’un sergeant en fricassée à son desjeuner. Dont povez bien croire ce que dict Nicolas de Lyra sur le passaige du Psaultier où il est escript : « Et Og regem Basan », que ledict Og, estant encores petit, estoit tant fort et robuste qu’il le failloit lyer de chaisnes de fer en son berceau. Et ainsi demoura coy et pacificque, car il ne pouvoit rompre tant facillement lesdictes chaisnes, mesmement qu’il n’avoit pas espace au berceau de donner la secousse des bras.

Mais voicy que arriva un jour d’une grande feste, que son pere Gargantua faisoit un beau banquet à tous les princes de sa court. Je croy bien que tous les officiers de sa court estoyent tant occupés au service du festin que l’on ne se soucyoit du pauvre Pantagruel, et demeuroit ainsi à reculorum. Que fist-il ? Qu’il fist, mes bonnes gens ? Escoutez. Il essaya de rompre les chaisnes du berceau avecques les bras ; mais il ne peut, car elles estoyent trop fortes, adonc il trepigna tant des piedz qu’il rompit le bout de son berceau, qui toutesfoys estoit d’une grosse poste de sept empans en quarré, et, ainsi qu’il eut mys les piedz dehors, il se avalla le mieulx qu’il peut, en sorte que il touchoit les piedz en terre ; et alors avecques grande puissance se leva, emportant son berceau sur l’eschine ainsi lyé, comme une tortue qui monte contre une muraille et à le veoir sembloit que ce feust une grande carracque de cinq cens tonneaulx qui feust debout. En ce point, entra en la salle où l’on banquetoit, et hardiment, qu’il espoventa bien l’assistance ;