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FRANCOIS RABELAIS

à l'eſprit de la royne
de Nauarre.[1]

Eſprit abſtraict, rauy, & ecſtatic,
Qui frequentant les cieulx, ton origine,
As delaiſſé ton hoſte & domeſtic,
Ton corps concords, qui tant ſe morigine
A tes edictz, en vie peregrine
Sans ſentement, & comme en Apathie :
Vouldrois tu poinct faire quelque ſortie
De ton manoir diuin, perpetuel ?
Et ça bas veoir vne tierce partie
Des faictz ioyeux du bon Pantagruel ?


  1. François Rabelais à l’eſprit de la royne de Nauarre. Ce dizain figure dans la première édition. Ménage en explique ainsi fort nettement l’intention : « Marguerite de Valois, Reine de Navarre, ſœur de François Ier, aimoit, comme on fait, les beaux eſprits de ſon tems, eſtimoit Marot, Rabelais, & compoſoit elle même en vers & en proſe, témoin le volume que nous avons de ſes poëſies, & ſon Heptaméron. Les dernieres années de ſa vie elle devint fort ſérieuſe, méditant beaucoup, & s’occupant des choſes du Ciel. C’eſt ce qui donna lieu à Rabelais lors qu’en 1546, il fit pour la premiere fois imprimer in 16 à Paris ſon troiſiéme livre, de mettre à la tête ce dizain adreſſé à l’eſprit de cette Reine… Ces édits de l’eſprit ſur le corps, cette apathie, cette vie pérégrine, tout cela ſignifie poëtiquement que cette Princeſſe détachée entiérement de ſes ſens, avoit rendu ſon eſprit maître de ſon corps, en ſorte que tandis que celui-ci demeuroit ſur terre, l’autre s’élevoit au Ciel. Cet eſprit donc eſt ici invité à vouloir bien pendant quelques momens deſcendre de cette haute région pour voir en cette baſſe & terreſtre la troiſiéme partie d’un ouvrage dont il y avoit autrefois vu favorablement les deux premieres. » (Ménagiana, 3e  édit., t. III, p. 113) À ce dizain Le Duchat ajoute le suivant, dont il n’indique pas la source :
    Iean Favre av lectevr.

    Ia n’eſt beſoing, amy Lecteur, t’eſcrire
    Par le menu le prouffit & plaiſir
    Que receuras ſi ce liure veux lire,
    Et d’iceluy le ſens prendre as deſir ;
    Vueille donc prendre à le lire loiſir,
    Et que ce ſoit auec intelligence.
    Si tu le fays, propos de grand’ plaiſance
    Tu y verras, & moult prouffiteras,
    Et ſi tiendras en grand reſiouyſſance
    Le tien Eſprit, & ton temps paſſeras.