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chapitre xix.

dast. Il demanda seulement vn ioueur de farces, lequel il auoit veu on theatre, & ne entendent ce qu’il disoit, entendoit ce qu’il exprimoit par signes & gesticulations : alleguant que soubs sa domination estoient peuples de diuers languaiges, pour es quelz respondre & parler luy conuenoit vser de plusieurs truchemens : il seul à tous suffiroit. Car en matiere de signifier par gestes estoit tant excellent, qu’il sembloit parler des doigtz. Pourtant vous fault choisir vn mut sourd de nature, affin que ses gestes & signes vous soient naïfuement propheticques : non saincts, fardez, ne affectez. Reste encores sçauoir si tel aduis voulez ou d’home ou de femme prendre.

Ie (respondit Panurge) voluntiers d’vne femme le prendroys, ne feust que ie crains deux choses. L’vne, que les femmes quelques choses qu’elles voyent, elles se repræsentent en leurs espritz, elles pensent, elles imaginent, que soit l’entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, signes, & maintiens que l’on face en leur veue & præsence, elles les interpretent & referent à l’acte mouuent de belutaige. Pourtant y serions nous abusez. Car la femme penseroit tous nos signes, estre signes Veneriens. Vous souuieigne de ce que aduint[1] en Rome deux cens lx. ans apres la fondation d’icelle. Vn ieune gentil home Romain rencontrant on mons Cœlion vne dame Latine nommée Verone mute & sourde de nature, luy demanda auecques gesticulations Italicques en ignorance d’icelle surdité, quelz senateurs elle auoit rencontré par la montée ? Elle non entendent ce qu’il disoit, imagina estre ce qu’elle pourpensoit, & ce que vn ieune home naturellement demande d’vne femme. Adoncques par signes (qui en amour sont incomparablement plus attractifz, efficaces, & valables que parolles) le tira à

  1. « Guevare, chap. 37 de l’Original Espagnol de la vie fabuleuse qu’il a publiée de l’empereur Marc Auréle. » (Le Duchat)