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le tiers livre

uernement de la maiſon, duquel l’eſprit n’eſt poinct eſguaré, qui ne pert occaſion queconques de acquérir & amaſſer biens & richeſſes, qui cautement ſçayt obuier es inconueniens de paoureté, vous appeliez Saige mondain, quoy que fat ſoit il en l’eſtimation des Intelligences cœleſtes : ainſi faut il pour dauant icelles ſaige eſtre, ie diz ſage & præſage par aſpiration diuine, & apte à recepuoir benefice de diuination, ſe oublier ſoymeſmes, iſſir hors de ſoymeſmes, vuider ſes ſens de toute terrienne affection, purger ſon eſprit de toute humaine ſollicitude, & mettre tout en non chaloir. Ce que vulguairement eſt imputé à follie. En ceſte maniere feut du vulgue imperit appellé Fatuel[1] le grand vaticinateur Faunus filz de Picus roy des Latins. En ceſte maniere voyons nous entre les Iongleurs à la diſtribution des rolles le perſonaige du Sot & du Badin eſtre tous iours repreſenté par le plus perit & perfaict loueur de leur compaignie. En ceſte maniere diſent les Mathematiciens vn meſmes horoſcope eſtre à la natiuité des Roys & des Sotz. Et donnent exemple de Æneas, & Chorœbus, lequel Euphorion dict auoir eſté fol, qui eurent vn meſme genethliaque. Ie ne ſeray hors de propous, ſi ie vous raconte ce que diſt Io. André ſus vn canon de certain reſcript papal addreſſé au Maire & Bourgeoys de la Rochelle : & apres luy Panorme en ce meſmes canon : Barbatia ſus les Pandedes, & recentement Iaſon en ſes conſeilz, de Seigny Ioan[2] fol inſigne de Paris, biſayeul de Caillette. Le cas eſt tel.

A Paris en la rouſtiſſerie du petit Chaſtelet, au dauant de l’ouurouoir d’vn Rouſtiſſeur vn Faquin mangeoit ſon pain à la fumée du rouſt, & le trouuoit ainſi perfumé grandement ſauoureux. Le Rouſtiſſeur

  1. Appellé Fatuel. De fatum destin. Voyez Servius sur le v. 47 du liv. VII de l’Énéide.
  2. Seigny Ioan. Voyez la Table des noms. Le conte qui suit forme la 9e nouvelle des Cento nouelle antiche, qui a pour titre : Qui ſi ditermina vna quiſtione e ſentenzia che fu data in Aleſſandria. Il a été reproduit sous bien des formes différentes depuis Rabelais. Du Fail (t. II, p. 268) le résume ainsi en quelques lignes : « Payez moy, diſoit le rotiſſeur au gueu, qui mettoit ſon pain ſur la fumée du roſt : ouy vrayement, reſpond il, faiſant tinter & ſonner vn douzain : c’eſt du vent que i’ay prins, duquel meſme ie vous en paye. »