Comment Pantagruel racompte vne eſtrange hiſtoire
des perplexitez du iugement humain.
Chapitre XLIIII.
omme feut (diſt Pantagruel) la
controuerſe debatue dauant Cn. Dolabella[1], proconſul en Aſie. Le cas eſt tel. Vne femme en Smyrne de ſon premier mary eut vn enfant nommé Abecé. Le mary defunct, apres certain temps elle ſe remaria : & de ſon ſecond mary eut vn filz nomme Effege. Aduint (comme vous ſçauez que rare eſt l’affection des peratres, vitrices, nouerces, & meratres enuers les enfans des defuncts premiers peres & meres) que ceſtuy mary & ſon filz occultement, en trahiſon, de guet à pens, tuerent Abecé. La femme entendent la trahiſon & meſchanſeté ne voulut le forfaict reſter impuny : & les feiſt mourir tous deux, vengeante la mort de ſon filz premier. Elle feut par la iuſtice apprehendée & menée dauant Cn. Dolabella. En ſa præſence elle confeſſa le cas, ſans rien diſſimuler, ſeulement alleguoit que de droict & par raiſon elle les auoit occis. C’eſtoit l’eſtat du procés. Il trouua l’affaire tant ambigu, qu’il ne ſçauoit en quelle partie incliner. Le crime de la
- ↑ La controuerſe debatue dauant Cn. Dolabella. Ce fait est raconté par Valère Maxime, VIII, 4, Ammien Marcellin, XXIX, et Aulu-Gelle, XII, 7. Comme aucun d’eux ne nomme les personnages et que Rabelais craindrait, en agissant de même, de rendre son récit obscur, il désigne simplement, à la façon des mathématiciens, le premier fils par les lettres a b c, le second par les lettres e f g, comme s’il s’agissait de comparer deux triangles.