Encores mieulx, diſt Pantagruel, quand il interrogé des quelz plus grand eſtoit le nombre, des mors ou des viuens ? demanda. Entre les quelz comptez vous ceulx qui nauigent ſus mer ? Subtilement ſignifiant que ceulx qui ſus mer nauigent, tant près ſont du continuel dangier de mort, qu’ilz viuent mourans, & mourent viuens. Ainſi Portius Cato[1] diſoit de troys choſes ſeulement ſoy repentir. Sçauoir eſt, s’il auoit iamais ſon ſecret à femme reuelé : ſi en oiziueté iamais auoit vn iour paſſé : & ſi par mer il auoit peregriné en lieu aultrement acceſſible par terre. Par le digne froc que ie porte, diſt frere Ian à Panurge, couillon mon amy, durant la tempeſte tu as eu paour ſans cauſe & ſans raiſon. Car tes deſtinees fatales ne ſont à perir en eau. Tu ſeras hault en l’air certainement pendu : ou bruſlé guaillard comme vn pere[2]. Seigneur voulez vous vn bon guaban contre la pluie ? Laiſſez moy ces manteaulx de Loup & de Bedouault. Faictez eſcorcher Panurge, & de ſa peau couurez vous. Ne approchez pas du feu, & ne paſſez par dauant les forges des mareſchaulx, de par Dieu. En vn moment vous la voyriez en cendres. Mais à la pluie expoſez vous tant que vouldrez, à la neige, & à la greſle. Voire par Dieu, iectez vous au plonge dedans le profond de l’eau, ia ne ſerez pourtant mouillé. Faictez en bottes d’hyuer : iamais ne prendront eau. Faictez en des naſſes pour apprendre les ieunes gens à naiger. Ilz apprendront ſans dangier. Sa peau doncques, diſt Pantagruel, ſeroit comme l’herbe dicte Cheueu de Venus, laquelle iamais n’eſt mouillee ne remoytie : touſiours eſt ſeiche, encores qu’elle feuſt on profond de l’eau tant que vouldrez. Pourtant eſt dicte Adiantos.
- ↑ Portius Cato. Voyez Plutarque, Marcus Cato le cenſeur, XVIII.
- ↑ Guaillard comme vn pere. Nous trouvons plus loin, p. 422 : Aiſes comme peres ; et dans ce dernier passage il s’agit du bon temps que se donnent les moines. C’est ici, selon nous, une locution analogue, mais employée ironiquement : « Tu seras pendu ou brûlé, gai comme un moine. » Selon Le Duchat « gaillard comme vn pere » est un équivalent de :
...Cent fois plus gay que Perot.
(Coquillart, Monologue des perruques)ou de « guay comme Perot. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XVI, t. I, p. 330) ; et ces diverses locutions signifient toutes : « gay comme papeguay, » c’est-à-dire « comme un perroquet, » expression employée plus loin, p. 501, par Panurge. Quant à Burgaud des Marets, s’emparant d’une opinion abandonnée par Le Duchat, il explique la phrase qui nous occupe par : « Hardiment brûlé comme un hérétique, » en prenant gaillard dans le sens adverbial et en expliquant comme un père par « comme un patarin ou hérétique, ainsi nommé du Pater. » « Personne ne croira, dit-il gravement, que les perroquets ou les, pinsons, pas plus queles gens, soient gais quand on les brûle. » Certes, mais il est bien clair que frère Jean ne parle pas sérieusement.