Comment Pantagruel paſſa l’iſle de Tapinois en la
quelle regnoit Quareſmeprenant[1].
Chapitre XXIX.
es naufz du ioyeulx conuoy refaictes & reparees : les victuailles refraiſchiz : les Macræons plus que contens & ſatisfaictz de la deſpenſe que y auoit faict Pantagruel : nos gens plus ioyeulx que de couſtume, au iour ſubſequent feut voile faicte au ſerain & delicieux Aguyon[BD 1], en grande alaigreſſe. Sus le hault du iour feut par Xenomanes monſtré de loing l’iſle de Tapinois en laquelle regnoit Quareſmeprenant : duquel Pantagruel auoit aultre foys ouy parler, & l’euſt voluntiers veu en perſone, ne feut que Xenomanes l’en deſcouraigea, tant pour le grand detour du chemin, que pour le maigre paſſetemps qu’il diſt eſtre en toute l’iſle & court du Seigneur. Vous y voirez (diſt il) pour tout potaige vn grand aualleur de poys gris, vn grand cacquerotier, vn grand preneur de Taulpes, vn grand boteleur de foin, vn demy geant à poil follet & double tonſure extraict de Lanternoys, bien grand Lanternier : confalonnier[BD 2] des Ichtyophages[BD 3] : dictateur de Mouſtardois : fouetteur de petitz enfans :
- ↑ Aguyon. entre les Bretons & Normans mariniers eſt vent doulx, ſerain, & plaiſant, comme en terre eſt Zephyre
- ↑ Confallonnier. porte enſeigne. Tuſcan
- ↑ Ichthyophages. gens viuans de poiſſon. en AEthiopie interieure pres l’Ocean occidental. Ptoleme libro 4. capite 9. Strabo lib. 13
- ↑ Quareſmeprenant. Au propre : « qui prend carême. » Ce mot s’applique d’ordinaire aux trois jours gras avant le mercredi des Cendres et particulièrement au mardi. Ici il désigne le carême lui-même, dont ce chapitre et les trois suivants sont une description bouffonne. « Il faut, dit Le Duchat avec assez de vraisemblance, que d’un côté ce portrait regarde la bizarrerie de l’habit des moines en général, à qui leurs règles preſcrivent un carême continuel, & de l’autre l’erreur de ceux qui font conſiſter une bonne partie de la religion chrétienne dans l’obſervation du carême & de ſes dévotions. »