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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/427

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Comment Pantagruel deſcendit en l’iſle de Ruach[BD 1].

Chapitre XLIII.


Devx iours apres arriuaſmes en l’iſle de Ruach, & vous iure par l’eſtoille Pouſſiniere[1], que ie trouuay l’eſtat & la vie du peuple eſtrange plus que ie ne diz. Ilz ne viuent que de vent. Rien ne beuuent, rien ne mangent, ſi non vent. Ilz n’ont maiſons que de gyrouettes. En leurs iardins ne ſement que les troys eſpeces de Anemone. La Rue & aultres herbes carminatiues[BD 2] ilz en eſcurent ſoingneuſement. Le peuple commun pour ſoy alimenter vſe de eſuentoirs de plumes, de papier, de toille, ſcelon leur faculté, & puiſſance. Les riches viuent de moulins à vent. Quand ilz font quelque feſtin ou banquet, on dreſſe les tables ſoubs vn ou deux moulins à vent. Là repaiſſent aiſes comme à nopces. Et durant leur repas diſputent de la bonté, excellence, ſalubrité, rarité des vens, comme vous Beuueurs par les banquetz philoſofez en matiere de vins. L’vn loue le Siroch, l’aultre le Beſch, l’aultre le Guarbin, l’aultre la Bize, l’aultre Zephyre, l’aultre Gualerne. Ainſi des aultres. L’aultre le vent de la chemiſe[2] pour les muguetz & amoureux. Pour les

  1. Ruach. vent, ou eſprit. Hebr.
  2. Herbes carminatiues. lesquelles ou conſomment ou vuident les vencoſitez du corps humain
  1. Par l’eſtoille Pouſſiniere. « Il jure par l’étoile poussinière, ou la constellation des Pléiades, sans doute parce que le lever de cette constellation passait chez les anciens pour exciter les vents et les tempêtes. » (Éloi Johanneau)
  2. Le vent de la chemiſe. Voyez ci-dessus, p. 135, note sur la l. 13 de la p. 146.*
    * Eſuenté des ventz du trou de bize, de chemiſe. Le passage suivant servira à éclaicir la première de ces locutions :

    A tout heure, ſoit froit ou chault,
    Il fault ſouffler au trou de biſe.

    (Poéſies françoiſes des XVe & XVIe ſiècles, t. III, p. 169 : Les Secreti & Loix de Mariage)

    Quant au vent « de chemise, » il est ainsi défini dans la Légende de Pierre Faifeu (ch. XLIX) :

    Or la couſtume a la femme ſouuent
    A ſon mary faire boyre ſon vent,
    Que gaudiſſeurs, ſans en faire aultre miſe,
    Nomment & dyent le vent de la chemiſe.

    On lui attribuait une grande influence sur la prospérité du ménage :

    Ainſi vng vent de la chemiſe
    Fera tout ceſt appoinctement.

    (Coquillart, Droits nouveaux, t. I, p. 81, Bibl. elzév.)

    Pluſieurs niaiz ſi ont ſans doubte
    Ainſi du vent de la chemiſe.

    (Coquillart, Monologue des Perruques, t. II, p. 284)

    Bien le ſçaura patheliner,
    Car elle eſt duycte luy donner
    Affin de fournir à la miſe
    Par foys du vent de la chemiſe.

    (Poéſies françoiſes des XVe & XVIe ſiècles, t. II, p. 12 : Sermon des Maulx de mariage)

    … Pour finable remiſe,
    On vous donra du vent de la chemiſe.

    (Poéſies françoiſes des XVe & XVIe ſiècles, t. III, p. 135 : Ny trop toſt ny trop tard marié)

    Du Fail (t. II, p. 249) parle assez longuement, mais en termes peu intelligibles de « ce terrible & exorbitant vent de la chemiſe, duquel vous autres mariez faictes tant de cas. »