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Page:Rabutin - Correspondance, t. 1, éd. Lalanne, 1858.djvu/75

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1667. — AOUT
60. — Le comte de Gramont à Bussy.
À Paris, ce 13 août 1667.

Mon amie est fort contente de vos vers, monsieur ; j’ai peur que vos louanges ne nous la gâtent, car elle y est fort sensible. Il ne m’est pas permis de vous mander son nom quelque instance que j’aie faite pour en obtenir la permission : ce que je puis vous en mander, c’est qu’il y a peu de femmes en France qui aient un plus grand air qu’elle l’a, avec la plus belle taille du monde. Je ne lui trouve point de défaut, sinon que toute sa douceur est dans ses yeux ; pour de l’esprit, personne n’en a plus qu’elle. Elle a fait un sonnet en matière prescrite, faisant parler une coquette : nous n’avons trouvé que ce moyen-là pour lui faire prononcer des douceurs pour un amant, je vous l’envoie ; mandez-moi ce que vous en pensez.

Je ne sais aucunes nouvelles en détail, je sais seulement en gros que le roi prend la Flandre.

Ma raison, c’en est fait, je succombe à l’amour,
Ne me vante plus tant la vertu de Lucrèce :
Tout ce qu’a de plus doux la charmante tendresse,
Se fait voir à mon cœur dans tout son plus beau jour.

Ma chère liberté, je vous perds sans retour,
Je m’en plains quelquefois, j’en ai de la tristesse ;
Mais enfin, je suis femme et j’ai de la foiblesse ;
Chez moi l’amour prétend établir son séjour,

Il est accoutumé de vaincre tout le monde,
Et femme qui se croit dans une paix profonde
Ne peut pas s’assurer quel sera son destin.

Chacune a son erreur, chacune a sa folie,
L’une aimera le bal et l’autre le festin,
Pour moi j’aime un garçon qui me trouve jolie.