Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/103

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Berthe, très surprise, fit signe que non.

— Alors, je vous répondrai, aux risques de perdre votre confiance. Madame, il m’est venu la fantaisie d’étudier le musée de Cluny depuis ses murs jusqu’à ses moindres bibelots. Je me fais archéologue et je demeure des heures entières le front contre un vitrail, évoquant l’ombre d’une grande Royne maintenant oubliée, d’un chevalier mort depuis cinq cents ans, d’un saint brodé sur une étole et qui peut-être n’exista jamais.

Ou bien je m’asseois dans l’herbe du jardin, les jours de fermeture, je rêve à la Romaine qui fit ses ablutions dans les bains antiques aujourd’hui remplis de la poussière des rues modernes. Ai-je dit que je détestais le monde parisien ?… Non, Madame, mais avant lui, j’aime les pierres. Je vais souvent à l’Opéra dans une loge fermée, sans amis, sans parents, surtout sans femme, et je me sauve avant le dénouement du drame que l’on représente… C’est ainsi que je n’ai point idée de la mort de Marguerite, et je me laisse dire par mes ennemis (on en a toujours) que Roméo, après l’échelle de corde, mourut de la pire des morts. Quand le salon de peinture s’ouvre, il n’est pas rare de me rencontrer dans les galeries du Louvre donnant, les yeux fermés, cinq francs au gardien que le hasard me fait découvrir endormi sur une banquette. Ainsi je me procure des stupeurs autrement profondes que celles des visiteurs du vendredi au Palais de l’industrie. Je trouve que nos peintres font des progrès