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Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/168

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de l’Opéra. Les balcons se remplissaient du tout Paris fatigué qui venait s’entrevoir sous le loup et se dire, sur le ton d’un profond ennui : pourquoi sommes-nous là, mon Dieu ?… Le temps est passé du bal de Gavarni, ou de la débauche de l’empire… c’est à périr de sommeil… Allons-nous-en !…

Ces réflexions n’empêchaient pas ces braves gens de s’amuser à huis clos derrière la fausse barbe, le masque ou la physionomie de l’homme du monde. Mais les journaux, lus le matin, leur avaient tellement recommandé l’ennui, qu’ils étaient obligés, bon gré, mal gré, de se répéter ces lieux communs.

Jean Soirès avait amené sa maîtresse, une femme qu’on ne savait pas précisément sur le bout du doigt, une femme qu’il prônait depuis huit jours sans que personne l’eût vue ni au Bois ni chez elle.

C’était sa première de viveur marié. Il se dérangeait parce que Berthe lui tenait rigueur, probablement à cause d’un revenant. La chronique mondaine n’osait encore ajouter rien de plus. Jean franchit la cohue et se trouva à la hauteur du balcon.

— Salut, mes chers, nous amusons-nous ? demanda-t-il avec l’aplomb du richard décidé à de nombreuses culbutes.

— Pas du tout, et vous n’étonnerez pas madame ! fit Desgriel cherchant à percer à jour le domino de la nouvelle victime.

Ce devait être une très jeune créature, car elle