Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/246

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Berthe se consumait dans de douloureuses crises de nerfs, n’osant pas crier la faim devant les mets savoureux qu’on lui servait et répandant des pleurs sur son pain bis. Le petit être qui remuait déjà en elle lui suggérait des envies bestiales de mordre les murs, les draperies, les meubles. Le coussin de sa chaise longue était crevé par ses dents qu’elle y avait mises une fois. Pourtant sa volonté ne pliait pas une seconde ; elle voulait le fruit de ses entrailles tout entier à son mari et elle accomplirait ce tour de force au milieu de son esclavage. Aimait-elle un homme quelconque ? elle l’ignorait à présent ; elle était toute au mystère de sa création, ne se préoccupant ni de l’époux qu’elle avait subi ni de l’idéal qu’elle avait rêvé. Elle aurait voulu, pardessus tout, du pain, beaucoup de pain pour s’empêcher de mourir avant l’heure suprême de sa délivrance.

Chaque matin, dès son réveil, le comte Maxime dépêchait son groom avec des friandises et la dîme des serres de Bryonne… elle faisait remercier, ou répondait un mot ému, mais elle ne regardait point ces choses appétissantes. Son enfant n’en avait pas besoin, affirmait-elle les yeux égarés par l’énervant désir de son estomac inassouvi.

Elle faisait souvent des projets.

— Puisque personne ne me reconnaîtra, disait-elle à la Bretonne, je retournerai, sitôt guérie, à Paris avec mon enfant, je m’installerai dans une petite chambre, je broderai, je ferai ma cuisine