Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/56

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par mois. Jean Soirès voulait devenir riche.

Il apprit la Bourse comme on apprend la peinture, avec une certaine crânerie sauvage, et en s’offrant des filles d’Opéra dès qu’il avait réalisé un joli bénéfice.

Il prêtait peu à ses camarades, mais leur racontait tous ses secrets d’alcôve d’un ton déluré. Il se créait des amis dans toutes les situations financières, car sa mauvaise éducation était cause des plus heureuses aventures. Une fois il tendit la main, sans y être invité, au banquier Ronsin qui, malgré sa réserve, la prit pour ne pas humilier ce brave Soirès. Il s’ensuivit une intimité de chaque heure, la hardiesse de l’un acculant la froideur de l’autre jusque dans le fauteuil de cuir du cabinet principal.

Devenu comptable, Jean eut l’occasion de sauver la caisse lorsqu’il pouvait s’en emparer en toute sécurité.

Il y avait au bureau de Ronsin et Cie un être d’allures ingénues, très pâle, très maigre, très vieux, aux yeux caves. Cet être-là n’avait jamais distrait un centime des fonds qui lui passaient par les mains. Il avait une fille, une fille phtisique, dont il était fou, et qu’il voulait conduire en Italie comme peuvent le faire les riches. À soixante ans, il résolut, ce père, de desceller le coffre-fort de la société Ronsin à l’aide d’une pince d’acier. Jean Soirès flairant quelque chose, parce que le vieux lui avait déjà juré souvent qu’il ferait un malheur, se dressa juste, cette nuit-là, devant le voleur au