Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/68

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— Je la fais moi-même, ma liqueur… Je la fais moi-même.

Elle introduisit Jean au salon en ayant soin de fermer la porte de la cuisine, une pièce bouleversée et pleine de senteurs étranges.

Un guéridon supportait un cabaret représentant un dromadaire chargé de deux outres à robinets ; les petits verres furent rangés sur le tapis au crochet avec des rosaces vertes et roses.

Jean eut une horreur subite de ce salon de teinturière, et il se serait probablement enfui si Berthe ne s’était décidée à paraître.

— Ma fille ! cria la veuve. Berthe, essuie donc les verres… Monsieur, mettez-vous là !… Tu sais… notre action est vendue… ce grand papier jaune que tu ne comprenais pas ? J’ai voué ma fille, Monsieur !… Elle est toujours en bleu… elle le sera jusqu’à dix-huit ans révolus… À son couvent, elles étaient cinquante vouées. Allons… cette Moldavie, ma fille ?… Eh ! je sais bien que le robinet lui manque de ce côté, mais ça coule de l’autre… Monsieur nous excusera, nous ne sommes pas fortunés !

Berthe essuyait d’une petite main experte, ne disant rien, ne levant pas les yeux.

— Mademoiselle est une charmante personne… vous aurez le courage de lui faire tenir un comptoir ? dit Soirès.

— C’est tout simple, Monsieur, puisque ma mère était teinturière, répliqua la jeune fille très vite.

Elle l’avait reconnu, mais ne s’étonnait pas. Une