Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/135

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Il faut que j’aille me coucher aussi. Je l’enferme à double tour. Je n’ai pas faim non plus. Pourtant il y a tous les autres. Les chattes sont comme folles. Elles ont faim, elles, et m’attendent en grattant à la porte. Devinent-elles que la fontaine du lait ne leur fournira plus une goutte de bonheur ?…

Les distributions de soupe terminées, je vais dormir. Il fait un froid noir. Sur tout ce blanc de la campagne, l’eau coule, séparant les deux rives d’hermine d’une barre d’encre bien appuyée. Je contemple un instant le bateau de pèche. On dirait qu’un géant a posé là une de ses pantoufles avant de pénétrer dans le lit du fleuve, une pantoufle usée.

Je dormirai profondément. Je ne m’épuiserai point à penser, la nuit, parce qu’il me faudra, le jour, agir, aller chercher un vétérinaire pour ma chèvre, si je peux en découvrir un. Je voudrais tant savoir… et je dors.

Je ne saurai rien. Pierrette est morte, réellement morte, cette nuit, en flairant, sans doute, le morceau de sucré, la tranche de pain