Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/84

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damas jaune, les rideaux du salon. Ma mère, très offensée, prétendait qu’elle avait droit à la jouissance de ces draperies jusqu’au bout de sa location. Les propriétaires discutaient, soulevés par une passion violente pour ce damas somptueux qu’ils voulaient soustraire aux invasions prochaines : « Je suis aussi bonne Française que vous, déclarait ma mère absolument outrée, s’ils viennent, j’y mettrai le feu ! » Ils arrachèrent littéralement cette soie de la tringle, coupant avec des ciseaux quand l’anneau ne cédait pas et, aux lueurs tremblantes des chandelles, ils allèrent enterrer leurs fameux rideaux dans le jardin. Oui, je l’ai vu, de mes yeux vu ; on les mit à même la terre comme de grands cadavres flasques dont la chair faisait des plis ! Cachée derrière le tablier de ma bonne, je regardais ça, pétrifiée d’une horreur superstitieuse. Pourquoi ce crime contre une étoffe, contre le luxe innocent ? Il y a donc des soieries qu’on brandit au bout d’un bâton et d’autres qu’on descend de leur bâton pour les tuer ? Je devais avoir l’œil désorbité du pauvre