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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/12

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d’elle, dormait-il, lui, si profondément, n’ayant pas les secousses nerveuses qui la tourmentaient ? Elle le contemplait des heures entières, cherchant le secret de sa béatitude. Il restait étendu, la bouche un peu ouverte, l’air de se rouler dans son sommeil comme en une eau berceuse, de se laisser porter par de molles vagues, de faire la planche, enfin, avec la sécurité d’un bois flottant, pendant qu’elle plongeait en des abîmes de réflexions désagréables, sentait des souffles froids lui parcourir le corps, ou éprouvait une chaleur intense au creux de la poitrine…

Ce n’était pas une méchante nerveuse, et malgré tout elle lui en voulait de ce sommeil trop paisible. Derrière sa tête, sous la lourde masse de ses cheveux, comme un doigt, un index pointu, se posait, lui vrillant la cervelle, agitant de petites vipères qui se dénouaient peu à peu, se mettaient à grouiller, à siffler, à s’enchevêtrer abominablement. Les actions ordinaires de la journée revêtaient des teintes lugubres. Puis elle revivait ses années d’enfance et elle constatait que jadis elle était plus libre, sinon plus heureuse. Il y avait dans sa vie passée des rayons de soleil, et ses souvenirs lui apportaient comme une odeur de muguet des bois qui lui faisait de la peine jusqu’à l’attendrir. Tout ce qu’elle croyait oublié, insignifiant, le jour, la nuit prenait des proportions désespérantes. Les malheurs habituels s’accompagnaient d’une sensation d’irrémédiable, de choses dont on ne