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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/132

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paysans pourraient vous espionner, ce n’est pas convenable, leur cria-t-elle.

Ils rentrèrent, la main dans la main, balançant leurs bras en imitant les écoliers frondeurs. Et on attela le cabriolet qu’on avait emprunté au maire d’Estérac. Les Lordès, leur fille entre eux deux, partirent de la Bourdaisière, la propriété du fiancé, agitant des mouchoirs au clair de lune, Laure murmurant intérieurement :

— Il ne m’aime pas encore ! Ce que j’accepte pour du respect n’est que de l’indifférence. Il épouse notre étude !

Et, se redressant soudainement menaçante, elle se tourna du côté de la maison qui se détachait toute blanche sur le ciel sombre :

— Tu m’aimeras, Henri, je le veux ! Je te forcerai à m’aimer, sinon je deviendrai le pire des animaux, moi, que tu prends déjà pour une bête.

Une semaine après ce dîner des fiançailles, un jeudi, les Alban descendirent à leur tour le coteau de la Bourdaisière pour visiter la famille Lordès.

Chez le notaire, on cuisinait ferme ; il convenait de prendre beaucoup d’apéritifs, et les liqueurs, tout le fond du placard, formèrent bientôt un arc-en-ciel sur la table du solennel salon où la plante grasse, la chevelure de verre, répandait sa fraîcheur de femme noyée. En entrant, la tante d’Henri eut froid, elle garda son châle d’un air de mauvaise humeur ; le père Alban, pour fuir cette gamme de sucre, et l’angéline, et le dernier marasquin de