Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/159

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regardait fixement, et elle murmura, se cachant la face, toute remuée :

— Le ciel est borgne !

Deux jours avant la découverte du cadavre, elle demanda du fil, des aiguilles, des ciseaux à l’abbé. Elle se prépara son costume de voyage, et il fut convenu qu’elle le taillerait dans des soutanes. Elle eut la coquetterie de l’agrémenter avec une écharpe de soie noire toute neuve, et son chapeau, une toque prise dans le bonnet d’une barrette, était un miracle de patience ; elle l’enveloppa d’une voilette de tulle blanc, ganta des gants violets, se mira au milieu d’une vitrine qui défendait les saints évangiles, et se trouva charmante. Seulement, elle n’ouvrit plus la croisée où resplendissait le cœur de Jésus nimbé de sa couronne d’épines, et elle fit brûler des grains d’encens dès que le prêtre lui en eût lâchement offert quelques-uns.

Il ne devait pas espérer un voyage facile. Pour gagner le train de minuit, à la gare du chef-lieu, il leur était interdit de prendre la grand’route, et ils ne pouvaient pas sortir de l’église avant onze heures du soir. Il fallait donc accomplir un vilain trajet, en pleine moisson, risquer de se buter soit à des paysans ramassant la récolte, soit à des glaneurs d’épis. Le curé s’habilla comme un ouvrier : blouse grise et pantalon de coutil, puis il s’enfonça un chapeau de paille sur la tête. Mais Laure ne voulut pas se séparer de sa voilette de dentelles blanches, qui la signalait à l’attention des gens, et le curé