Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/259

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tête baissée, il fallait en sortir plus solide, plus indifférente. Elle ne se devait à personne, elle serait ce qu’il lui plairait d’être, ou vertueuse ou lâche, et ne mêlerait plus si intimement les rêves de son cœur aux désirs de sa chair. Et elle eut la vision d’un homme-hydre : plusieurs têtes sur toujours le même corps : et qu’importait, après tout, la dignité de ces multiples fronts !

Elle mangea d’assez bon appétit le déjeuner que lui offrit la concierge. La gourmandise la reprit : elle exigea des fraises, des gâteaux, trouva que cet humble travail de la mastication de choses sucrées avait bien son charme. Elle était seule ! Eh bien ! sans honte, elle mangerait pour deux, en lançant des morceaux à Lion qui salirait le tapis si tel était son plaisir. Elle établit le bilan de ses ressources, et conclut qu’en n’économisant pas elle vivrait encore une année très à son aise. Ensuite… on verrait. C’était déjà, pour elle, bien courageux d’avoir tenu à s’assurer d’un peu plus que du moment présent.

Laure ne tarda pas à se lever. Encore très faible, elle allait de son lit aux coussins disposés en divan près de la baie vitrée qu’on lui ouvrait toute grande, et elle demeurait là, demi-nue, des jours entiers, s’imbibant d’air et de lumière, puisant des forces à ce qui est la source de tout bien-être pour les animaux, aux rayons du soleil, buvant par tous les pores cette liqueur de feu, l’eau-de-vie par excellence des créatures peuplant les campagnes.