Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/293

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mors, un cheval ombrageux qui nécessite pas mal de coups de houssine. Une minute il rit, intérieurement égayé par une découverte, un mot tronqué ou une ligne illisible, et il montra ses dents pointues avec deux canines avançantes aux deux côtés de la mâchoire supérieure, deux petits crocs.

Laure eut un soubresaut, et elle tira de sa poche sa boîte à poudre ornée d’un minuscule miroir, constatant que ce léger défaut de dentition leur était commun. Elle reprit son verre, et l’homme, très ennuyé du voisinage, appela un garçon, demanda un grog en désignant une autre table.

— Monsieur ne retrouve pas sa place habituelle, dit obséquieusement le garçon, si monsieur désirait entrer ?…

— Non, merci, on étouffe là-dedans, répondit-il d’une voix brève.

Il se leva, ramassa ses papiers, mâchonnant un sacrebleu discret.

Alors elle murmura, saisie soudain d’une grande mélancolie :

— Je vais m’en aller, puisque je vous gêne !

Aussi bien elle était trop dégoûtée de tous : elle leur offrait une belle marchandise, saine, et ils préféraient des créatures avariées, tant pis ! Elle ne lutterait pas davantage, mieux valait se lancer du haut d’un pont ! Droite et sérieuse, la figure calme, envahie par une pensée de suicide, elle attendit qu’il s’effaçât pour le laisser partir.

— Mais vous ne me gênez pas, mon enfant, lui